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Premier recueil des dessins de Monsieur Albert SAGOLS édité en 1990 sous l'égide de l'association banyulencque "Aristide Maillol".

 

  PRÉFACE DU PREMIER RECUEIL signée FRANCIS COSTE

 

Albert SAGOLS est fier d’être un catalan, enfant de Banyuls, fils de la mer.

Jadis, Banyuls était un paradis, aujourd’hui mutilé et livré à l’âpreté du plus offrant.

Il fallait le talent affectif, la subtilité amoureuse et la sensibilité artistique d’Albert SAGOLS pour nous replonger dans le souvenir sans précédent d'une beauté maternelle, actuellement humiliée par l’irrespect et le profit. Tel un chroniqueur du 18e siècle, sa plume alerte et précise illustre vie quotidienne, héritage et vestiges d’un passé enseveli. Le croquis savoureux est sa véritable écriture, une parole vivante qui en dit plus que des mots. Elle nous révèle ce que nous étions et ce que nous ne sommes plus. Une page est tournée qui en trois volumes nous sera superbement et simplement racontée. Nous pourrons rire, sourire et pleurer ! Cependant, aimer et protéger Banyuls doit être le combat de tous. L’avenir de ce beau village catalan en dépend, car son terroir unique est un chef-d’œuvre en péril menacé par des intrus venus d’ailleurs et des transfuges irresponsables ayant renié leur identité.

Jadis, Banyuls était un paradis dans toute sa splendeur naturelle et ses attraits sauvages chers à Maillol.

Un village charmant, enclavé entre mer et montagne, voué au mythe de Bacchus et aux humeurs de Neptune. La plus belle baie du littoral catalan offrait aux regards émerveillés l’empreinte de Vénus sur un rivage vivant de barques et de filets.La Déesse antique dela Beauté et de l’Amour avait choisi cet Eden banyulenc au hasard de ses haltes mythologiques. Nus étions dans le prolongement direct du ressac dela Grèce. Les jardins florissants de Banyuls, riches d’alluvions, étalaient toute l’année leurs panoplies saisonnières de légumes et de fruits. Des oranges de l’hiver aux citrons de l’été,une odorante rutilance colorait et embaumait l’atmosphère du village. La brise de mer mêlait l’iode des algues au zeste des agrumes. Les collines plantées de vignes et de chênes-lièges, savamment cultivées symbolisaient l’essentiel de l’activité agricole. Dispersés, ça et là, des flancs gris d’oliviers offraient aux caprices des vents le tournoiement argenté de leurs feuilles. De l’aube au crépuscule, on vivait lentement. Tout a changé si vite ; en si peu de temps. Dans l’obscurité félonne d’une mauvaise nuit un complot d’enchanteurs a fomenté le sort des temps modernes. Quand le jour s’est levé, les Dieux antiques gisaient démembrés sur le rivage amer des pontons et des digues. Tout un village profondément enraciné dans sa substance du sol natal plie sous le poids de sa propre nostalgie.

L’ouvrage émouvant d’Albert SAGOLS remet à jour un art ancien d’exister et de vivre. Femmes, hommes et enfants ont édifié et harmonisé la vie banyulencque. Ignorer le proche passé dont sommes issus serait imprudent et dangereux. Notre mémoire est le support idéal de nos origines et de nos sources. A travers notre patrimoine, nos chers disparus parlent aussi pour nous. Ce qui hier était encore une réalité apparaît singulièrement, aujourd’hui, comme un mythe. Le passé est une leçon dont l’avenir est la promesse. Révolu s’accorde t-il avec le présent en marche ? Ici il y va d’une occulte destinée.

MON VILLAGE est un cri de cœur d’Albert SAGOLS auquel assurément, s'associe un peuple farouchement banyulenc, fier passionnément de son tellurique passé

 

Deuxième recueil des dessins de Monsieur Albert SAGOLS édité en 1991

sous l'égide de l'association banyulencque "Aristide Maillol"

 

 PRÉFACE DU DEUXIÈME RECUEIL signée FRANCIS COSTE                                                                                                            

Le banyulenc de source est un être mythique.

Sur un rivage propice aux divinités, l’intrigante Vénus lui dit don de ses faveurs.

Bacchus lui offrit ses pampres d’or.

Neptune les sentiers de la mer.

L’aube marine l’invitait au voyage.

La quiétude du soir le retenait au port.

Je porte en moi cet ensorcelant atavisme où se mêlent la mémoire et le cœur.

Mais l’Histoire est plus forte que la légende. Elle bris ele charme des rêves ensevelis. Sur le fil irrémédiable d’un temps furtif se tisse inexorablement le destin qui nous échappe.

Dès 1900, des novateurs veulent changer la vie. Démystifier les mœurs. Mais Banyuls a un passé terrible. Avant d’être français, on est catalan. Et avant d’être catalan, on est Banyulenc. Au début du siècle dernier on était encore naufrageur, pirate, contrebandier. Le village sort à peine d’une « République Contrebandière » qui fit souvent parler le sang. On est tout à la fois pour vivre et survivre.

On parle un catalan étrange. On parle banyulenc. On a des noms clandestins : « cul de fer »,  « voleur de femmes », « brûleur de village », « sexe d’or », « couille noire ». Chacun a le sien. On fait même danser certains morts avant que Dieu ne les accueille.

L’évolution sociale et politique ouvre au tourisme les portes de la cité banyulencque. Mais les conservateurs s’affronteront toujours aux novateurs. Cependant, la voie est ouverte et rien ne l’arrêtera. Banyuls est trop beau pour être enfermé dans un livre. Un Comité d’Hivernage voit le jour, qui deviendra plus tard le Syndicat d’Initiative et enfin l’Office de Tourisme. Découvrons-le en des extraits de sa réunion du 18 février 1909 :

« En été une quantité notable d’étrangers fréquentent notre plage, il est vrai, mais Banyuls est surtout une station hivernale. En hiver son climat très doux est agréable, le plus agréable de France, supérieur même à celui dela Côte d’Azur. Mais ces avantages ne sont pas connus et c’est le hasard seul qui conduit ici quels rares étranger ».

« Et quoique en pensent certaines personnes, cette affluence d’étrangers (en hiver » profiterait à tout le monde ».

… « A l’encontre de Nice, Monaco, Monte-Carlo, etc … on écartera sans pitié de Banyuls, les rastaquouères dela Côte d’Azur, on proscrira tout ce qui ressemblera au croupier et à la catin. Pas de Casino, pas de maison de jeu ».

… »Il faut donc se garder d’introduire dans nos murs tout ce qui pourrait faire ressembler Banyuls à un Carlstadt, à un Baden-Baden, etc… Il ne faut pas prêter l’oreille aux combinaisons de ces capitalistes qui ne verraient dans la douceur de notre climat qu’un moyen de spéculation. Il faut se méfier de ces chasseurs d’affaires qui, pour mettre en valeur notre pays, notre plage, feraient sonner toutes les cordes de la réclame et qui, une fois fortune faite, iraient planter leur tente ailleurs, laissant Banyuls malheureux avec son cortège de larbins, de valets, de proxénètes et de catin ».

… « Un des moyens de réussite sera de faire connaître Banyuls aux médecins français ».

Assurément ces novateurs avaient du bon sens. Ils voulaient protéger Banyuls. Aristide Maillol accepta d’être membre du Comité d’Hivernage. Si le maître de Banyuls revenait, il sculpterait aujourd’hui des larmes d’amertume et de regrets.

Mais on ne peut désespérer de tout.

Au pied des Abeilles endimanché d’un automnal coucher de soleil, Joseph Kessel me dit un jour : « Titi, tu habites un des plus beaux endroits du monde. Je le sais pour l’avoir beaucoup parcouru. Cette harmonie là est rare. »

Heureuse équivalence entre l’émotin kesselienne et l’œuvre ultime du maître catalan.

Banyuls 1920.

Depuis plus d’un, les clairons de l’Armistice ont stoppé l’affrontement inutile dela Première Guerre Mondiale. De part et d’autre, il faudra longtemps pour oublier les deuils et panser les blessures. Cependant, face à la douleur irréparable, la vie reprendra vite le dessus. La cité Banyulencque réorganisée retrouve rapidement l’économie locale nécessaire à son épanouissement.

Depuis 1930, déjà connu du tourisme estival et hivernal possède une structure d’accueil importante tant par ses hôtels que par ses pensions de famille. Le site offre aux visiteurs émerveillés la baie la plus attrayante de tout le littoral. Protégé par sa muraille de massif cambrien, un arrière-pays fabuleux, savamment cultivé de vignes, d’oliviers et de chênes-lièges attire de nombreux promeneurs ravis de le découvrir.

ON vient à Banyuls parce que c’est beau et authentique. La pêche est florissante et le sens de la fête est revenu au village.

Tous les vins du terroir sont excellents, réputés et appréciés tant en France qu’en Europe. Les fameux « vins de messe » naturellement secs ou doux circulent dans le monde entier. Les missionnaires de la Sainte-Eglise Catholique le reçoivent aussi bien en Asie qu’en Afrique. Dieu glorifie le Banyuls !

Pour parler des vins du cru Banyuls élaborés à la belle époque nous citerons un ardent défenseur, le docteur Léon Dieulafé, Président « Des amis des fins de France » qui écrivait en 1934 :

« Parmi les vins doux naturels du cru Banyuls on distingue :

Le Banyuls rouge dont la vinification comporte la macération du moût avec la pulpe durant toute la fermentation.

Le Banyuls rosé et doré, qui est obtenu par la vinification en blanc, c’est-à-dire en séparant le moût de la pulpe avant tout commencement de fermentation.

Le Banyuls blanc, produit exclusif du jus de raison frais, muté ou non, provenant de cépages blancs : clairettes, malvoisie, maccabéo, grenache blanc.

Le Banyuls ne s’oppose à aucun vin.

Il est le Banyuls inimitable. »

En ce temps-là, on donnait le nom de Rancio à du Banyuls très vieux, sec ou doux, impérieusement naturel tel que le souhaitait son spirituel et bienheureux bienfaiteur, Mossén Rous.

Il ne faut pas croire que Banyuls de la belle époque était riche.

Il jouissait toutefois d’une certaine prospérité car la plupart des habitants y trouvaient travail et fraternité.

Toutes les forêts étaient exploitées et entretenues. Les vignes cultivées comme des jardins. Les jardins étaient nombreux. Pratiquement chaque famille avait le sien. Le spectacle d’arbes chargés d’orange et de citrons était ravissant.

En partant du promontoire sauvage du Cap d’Osne, sa baie était unique. Elle s’étalait majestueuse jusqu’à l’île grosse avec sa plage de galets au nord et de sable fin au sud.

Résurgence irremplaçable, le buste typique de l’île petite, symbolisait au centre de la baie un chef-d’œuvre hérité de la nature.

Maillol est né de cette beauté là.

                                             

Troisième recueil des dessins de Monsieur Albert SAGOLS édité en 1992

toujours sous l'égide de l'association banyulencque "Aristide Maillol"

 

PRÉFACE DU TROISIÈME RECUEIL signée FRANCIS COSTE

 

En guise de préface, je souhaitais écrire, pour les enfants de Banyuls, la légende de Balnéolis. Je voulais introduire en un récit fabuleux autant de genèse que de paradis perdu. En quelque sorte, un conte mythologique avec des acteurs mythiques du cru. De ce côté-là, tout reste à faire. Car la dure réalité de mes ancêtres m’a rappelé à l’ordre.

N’aurais-je pas, aussi, trahi la mission des merveilleux dessins d’Albert SAGOLS qui nous offrent, avec exactitude, les rituels d’autrefois. Pourtant le mythe banyulenc existe ; certes plus gionesque que divin. Entre la vérité et le mensonge, trouver un bavardage plus éloquent que l’histoire officielle. Comment transcender une figuration où tous les masques sont tombés. Je ne voudrais surtout pas que la part de rêve dont Banyuls est investi quitte définitivement le rivage des dieux antiques. Hélas, tant de blessures aujourd’hui l’affligent. Les cicatrices qui en témoignent seront toujours présentes pour raviver notre douleur.

La nostalgie banyulencque prend ses sources dans les mythes qui la nourrissent. Je dirai même que son prolongement n’a rien d’achevé. De quelque atavisme que soit nourrie la  nature humaine et voici que resurgissent les réminiscences d’un temps révolu dans un temps retrouvé.

Au commencement il y avaitla Beauté. Celle de Banyuls attira Vénus.

Contrairement aux volontés divines elle y resta. Rejointe, en ce forfait de lèse majesté, par Dionysos. C’est avec la beauté de la femme exaltée par Maillol et le culte du vin que commence la légende de Balnéolis.

Vénus, dans sa halte mythologique, imprima de sa blonde croupe, ô combien désirée des dieux, le rivage ensorcelé de Banyuls.

L’escapade de Dionysos intriguait sérieusement l’Olympe. Las d’attendre le retour de ce couple indiscipliné, Zeus envoya aux nouvelles le messager Hermès. Plus tard, les révélations qu’il fit au cénacle olympien attendrirent bien des cœurs. Dans une éden bercé de tendre mer Vénus et Dionysos avaient fondé une cité : La cité Balnéolis. Le couple divin organisa harmonieusement la vie maritime et terrestre. Planteurs, pêcheurs, chasseurs, cueilleurs s’adonnaient avec bonheur aux tâches quotidiennes. Arrachée à l’austérité de la montagne, la terre savamment cultivée offrait des vignes généreuses et des jardins luxuriants. Les Dieux étaient honorés en des fêtes nombreuses. Ayant goûté au nectar célèbre, ils approuvèrent le délicieux breuvage. La naissance le Balnéolis contenta l’Olympe afin qu’y demeurent heureux Vénus et Dionysos. La suite appartient à l’histoire des hommes et des femmes qui, jusqu’à nous, n’ont pas déçu les dieux.

Nous venons de voir que le cordonnier des rêves nous tisse des babouches d’or avec lesquelles il faut marcher prudemment. La rude réalité qui nous fabrique nous oppose sans appel de signifiantes et douloureuses contradictions. Je vous invite donc à pénétrer, maintenant, par le truchement de la mémoire collective, le monde moins onirique et plus rigide d’une époque banyulencque révolue. Non dépourvue de mystère et de charme, elle atteste aujourd’hui encore d’une authenticité présente dan nos rues anciennes et nos souvenirs ardents.

Nous sommes au XVIIe siècle. Le comte de Mailly gouverneur de la province de Roussillon, veut raser le village de Banyuls alors voué à la contrebande et déporter ses habitants. L’intendant Raymond de Saint Sauveur, adopte un moyen apparemment plus clément, mais en fait plus efficace. Il installe des officiers de police et un maître d’école, favorise la plantation de la vigne et fait ouvrir une route entre Banyuls et Port-Vendres. Les petits métiers se créent. Le commerce et l’artisanat se développent. Les maisons se construisent. Les vignes et les jardins se multiplient. On fabrique des filets, des engins de pêche, des outils, des barques. On creuse des puits, on capte des sources, on édifie des fontaines. On ouvre des chemins. Une vie active est née qui va de la vigne à la mer en passant par les jardins. Au début du XXe siècle le village prospère. La vigne et la pêche assurent du travail pour tout le monde. La cité grandit dans le labeur, les loisirs et les jeux. En ce premier matin de 1900, la plage est fleurie de cent barques catalanes qui se reposent sous le regard insolent du château Suquet. Les beaux jours arrivent vite à Banyuls. La rie passe savoureusement de l’ombre au soleil. Appelées par la mer les barques s’animent. Hommes et femmes dont et viennent. Les charrettes passent et repassent. Anes et mulets tintent de grelots bariolés. C’est déjà une fête qui commence. Comme ces voiles latines que la brise du soir accompagne et emporte, traversons les jours heureux des promeneurs lointains. Il est 5 heures du couchant en ce tiède mois de mai qui a les couleurs du printemps et la douceur de l’été. Pêcheurs joyeux et mousses frétillants s’affairent au départ. On les regarde, on les admire, dans un bruit de cordages, de rames, de drisses et de palans. Ils sont tous là : Grill et Grillon, Pinyata, Collo-negre, el Gafinyart, el Franquet, en Mostaxt, Cul de Ferro, en Llagoste, Pistola, Crema-pobles, Recoquill, en Gambeta, en Drolle, en Bidrà, el Moro, l’Hercule, en Tin dela Monde et tous les autres, entremêlés en une diversité bruyante de gestes et de cris qui les préparent à prendre la mer.

Lentement les barques glissent dans l’eau baignée de soleil au murmure des clapotis. Les poulies grincent en un ballet de toile usée. Les voiles hissées se forment, se gonflent d’air tiède. Les étraves mordent la chair bleue de la mer. L’écume frappe la poitrine des barques qui s’éloignent souples comme des oiseaux. Quel spectacle ravissant de lumière et de légèreté sur les franges irisées des flots tranquilles. Une danse de couleurs vives file dans la gueule impassible de l’horizon. Ces barques reviendront avec l’aube quand le soleil tissera son filet de rayons dans la naissance du matin.

L’épreuve terrible du phylloxéra qui ruina le terroir vers 1880 obligea les vignerons à se tourner vers la mer. C’est à ce moment là que l’on fabrique le plus grand nombre de barques dites « catalanes ». Mais la pauvreté et la politique sociale du moment divisent la population. Deux clans ne tardent pas à naître : « L’Escata » qui rassemble les pêcheurs vignerons, et les « Pixa-tinters » représentés par une coalition de bureaucrates, fonctionnaires et bourgeois ; à tel point que la place publique est diamétralement partagée lors des bals populaires. Cette ligne stratégique violée entraîne instantanément de graves incidents qui dégénèrent en dispute générale. C’est aussi le début de campagnes électorales et carnavalesques, aux débats spectaculaires, dont Banyuls sera le théâtre. La lice épique « Pujade-d’Espie » en sera le sommet bruyant et l’illustration la plus comique. Plus tard, le port-vendrais Jules Pams, sénateur de l’arrondissement de Céret et Ministre de l’Intérieur qui faillit être élu Président dela République, en janvier 1913, sera un jour confronté à la dignité exemplaire d’un banyulenc. En 1903, Auguste Bonafos, au titre du Président du Syndicat vinicole de Banyuls, fut civilement responsable d’une mauvaise gestion comptable. Il décida de faire face courageusement à cette pénible et difficile situation et s’engagea à payer le créancier, un marchant d’engrais de Marseille. Jules Pams qui organisait sa campagne lui proposa en échange d’une action politique en sa faveur, de subvenir totalement aux échéances. La réaction de Bonafos fut des plus vives : «  Monsieur Pams, jusqu’à ce jour vous étiez un ami, dès maintenant  ne m’adressez plus la parole ! ». L’homme humilié dans son honneur par de telles propositions trouva dans le travail la réponse à son malheur. Ces « Hommes » qui sculptent de vignes la montagne, qui fabriquent et conduisent leurs barques, les voici : individus indépendants habitués à travailler durement, obstinés et têtus. Irascibles face à l’échec et révoltés contre toute nature hostile, rustres mais jovials, impénétrables et généreux. En un mot tempéraments individualistes, esprits frondeurs et caractères particuliers.

Tel « Pinyata » qui lacérait de coups de couteau les filets bredouilles ! Frédéric qui par jour d’orage lançait des pierres à la foudre et défiait les éclairs qui l’environnaient ! Lui encore voulait arrêter la colère des flots, lors des tempêtes, ce qui se terminait toujours par une demi-noyade. Ceux qui, partis sur une barque au siège de Sébastopol pour y faire commerce, firent naufrage avant d’y arriver. Et l’équipage du « Passe-partout », catalane construite à Banyuls pour le service du Pape Pie IX, voguera au secours du Vatican menacé, en participant à l’expédition français dans les Etats Pontificaux entre 1867 et 1868.

Nous vivons là une espèce de mythologie que tant de faits authentiques illustreraient encore. « Grill et Grillon », pêcheurs et frères inséparables sur terre, se séparaient en pleine mer, lors deleurs fréquentes disputes. « Grillon » n’hésitant pas à se jeter à l’eau, nageant jusqu’à la côte et regagnant Banyuls à pied en maudissant tout l’univers ! « Grillon » encore, lorsque la tramontane intempestive lui arrachait son béret et le faisait courir dans la vigne, allait, imperturbable, le ramasser et violemment d’un geste de grands seigneur, le lançait dans le ciel en s’écriant : « Tiens, puisque tu le veux, garde-le ! ».

Voici enfin comment il chassa, seul, les Espagnols de Narbonne : La scène se passait à la gargote de la plage, actuellement Café « Henri ». Sombre et sale, mal éclairée par les mèches fumantes des lampes à pétrole, la « gargota del Pigall » était un résidu de cave humide où l’on servait le plat du jour et le verre de vin. Lors des équinoxes, la tempête coléreuse du Levant y pénétrait, oubliant parfois un gros poisson prisonnier de l’antre.

Pêcheurs, vignerons, passants et voyageurs s’y rencontraient autour des cartes et des souvenirs. Un soir pluvieux et froid laissa entrer un élégant étranger et sa belle guitare.

« Messieurs dit-il, permettez-moi de jouer pour votre plaisir »

Cet hidalgo, un peu Don Quichotte sur les bords, répandit notes sonores et couplets de son ibérique répertoire. Hélas il voulut terminer héroïquement avec un morceau de bravoure intitulé : « L’Entrée des Espagnols à Narbonne ». Ce qui fut fait avec trop de talent paraît-il. Pourquoi diable outrepasser ainsi l’hommage musical à l’hospitalité ? Mal lui en prit car « Grillon » soudain se leva : «  Amigo, je sais aussi jouer de la guitare. Veux-tu me la prêter ? »

« Mes amis,et bien moi  je vais vous interpréter la « Sortie des Espagnols de Narbonne ». Et sur le champ, « Grillon »,  de ses deux bras de fer lui asséna un tel coup d’instrument sur la tête que l’autre court encore avec sa guitare en guise de sombrero. Comique et sauvage, drôle et brutal, ce fait populaire illustre bien une génération typiquement locale qui faisait dire des banyulencs : «  Ces gens là ne sont ni français,  ni catalans, encore moins espagnols, ils sont banyulencs ! »

Quand on s’attarde sur cette société qui se structure,  on s’aperçoit aisément qu’elle est loin de baigner dans un partage équitable des droits. Malgré un climat de familiarité villageoise très méditerranéenne, les couches sociales sont diverses et opposées. La majeure partie de la population est pauvre et l’essentiel consiste à faire vivre la famille durant l’année. La misère s’installe vite si la récolte est mauvaise et la pêche médiocre… Libres, courageux et joyeux, hommes et femmes s’acharnent cependant à vaincre les incertitudes quotidiennes. Ceux qui échappent aux inconvénients de cette catégorie sociale, appartiennent à des branches bien distinctes de gros et moyens propriétaires, souvent patrons-pêcheurs, assez aisés pour l’époque, possédant maison, terres et barque ; ainsi  que quelques professions libérales, commerçants et fonctionnaires. Métiers traditionnels et artisans divers assurent aussi un travail salutaire. Une douzaine de grandes familles, affranchies depuis longtemps par la royauté et maintenues par la bourgeoisie opprimante conserveront la majorité du terroir. Le village est organisé en quartiers ou groupes de maisons avec leurs puits et leurs fontaines à balanciers. Les familles sont unies,se rencontrent souvent, s’entr’aident.

Une assistance collective existe vraiment et l’esprit communautaire veille à secourir les plus déshérités. L’instruction publique instaurée, la grande église construite, la présence du Laboratoire Arago, l’ouverture du chemin de fer et des routes, transforment progressivement le niveau socio culturel d’une commune florissante. Mais les « étrangers » qui s’installent au pays, s’ils sont admis et respectés,ne sont pas très bien compris dès qu’ils expriment des idées rénovatrices ; bouleversant structures et traditions établies au cours des âges. Comme en témoigne ce fait, rénovateurs et novateurs s’intègrent  difficilement et ont du mal à imposer leurs idées. Tel ce « Comité d’Hivernage » composé d’éléments « soucieux de l’avenir de Banyuls » dont la revue « La Vallée de Tempé » parut au mois de mai 1913. Elle nous livre aujourd’hui des renseignements précieux sur la vie banyulencque. Cependant, une réunion publique, apparemment dirigée par le maire de l’époque François Sagols, conte cette association de gens bine intentionnés eut lieu le 29 juin de la même année. Le maire y démontra que le Comité d’Hivernage était un « zéro », puis deux « zéros ». Il apprit ainsi à l’assemblée que les zéros étaient « ronds comme des roues » et que dès lors il fallait en conclure que le « Comité d’Hivernage » était …. Une bicyclette ». Entre temps, il distribua copieusement diffamations et insultes au Préfet, au Sous-Préfet et à tous les étrangers résidant à Banyuls. A la question :

«  Mais , quelle différence voyez-vous entre un français et un banyulenc ? » il répondait sans sourciller : « C’est très simple, pour les affaires de Paris, un français a les mêmes droits que nous. Pour les affaires de Banyuls, il n’a qu’à se taire ! »

Les temps ont bien changé ! Reste t-il encore des banyulencs … de cette trempe ?

Aujourd’hui, le « Passé » plein de vives ressources se trouve relégué au rang d’écolier attardé. Condamné pour un temps à croire à des miracles culturels il survit au travers de solutions qui mettent mieux en évidence son abandon. Le sang des hommes à changé de nature. Mais, laissez-nous croire, ô grand Zeus, qu’il y a encore des Paradis sur terre pour les générations futures.

                                                 ***

 NB : Si j'ai choisi de garder les préfaces des trois recueils des dessins de Monsieur Albert SAGOLS, écrites par Monsieur Francis COSTE, affectueusement surnommé "Titi" par les villageois, c'est qu'il a su mieux que je ne saurais le faire commenter l'importance de ces dessins pour la mémoire collective.

Titi est un artiste de talent, un homme de passion. Peintre, sculpteur et à l'occasion ... écrivain.  Les  quelques textes qu'il a accepté d'écrire, toujours pour honorer les oeuvres de ses amis, allient au lyrisme échevelé qui le caractérise un romantisme naïf, une tendresse bouleversante et un réel talent pour l'écriture.

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