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dimanche 3 novembre 2013
Fabrice Lhomme et Gérard Davet Lire... cet article du Monde qui présente l'ouvrage "French Corruption" sorti le 9 octobre et écrit par les journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme d'après les confidences de Didier Schuller, jadis conseiller général RPR et "porteur de valise". Ci-dessous un texte très intéressant "Au pays de la corruption" envoyé par un de mes correspondants. Vous verrez, la réalité dépasse la fiction. Didier Shuller en 2007 celui par qui le scandale arrive ...
Au pays de la corruption DOMINIQUE RICHARD d.richard@sudouest.fr Depuis vingt-cinq ans, les affaires chassent les affaires, envoyant
impitoyablement aux oubliettes premiers rôles et seconds couteaux de ces feuilletons médiatico-politiques
qui ne subsistent plus qu'à l'état de traces dans la mémoire collective. Qui se
souvient encore de Didier Schuller, un obscur conseiller général RPR de Clichy la-Garenne,
dont le nom s'était brutalement invité en 1995 au journal de 20 heures à l'issue
d'une histoire rocambolesque. L'élu, par ailleurs directeur de l'Office départemental
d'HLM des Hauts-de-Seine, avait été contacté par le psychiatre qui soignait sa mère.
Le médecin souhaitait monnayer des renseignements relatifs aux enquêtes menées
par son gendre, le juge Halphen, sur les marchés truqués à la source du
financement occulte du parti chiraquien. République
dévoyée À l'initiative de Charles
Pasqua, alors ministre de l'Intérieur, et sur ordre des policiers, Didier
Schuller avait remis 1 million de francs au psychiatre, aussitôt interpellé en
flagrant délit. Nul n'a jamais su qui tirait les fils de cette manipulation.
Peu de temps après, craignant d'être arrêté, Didier Schuller avait pris la
fuite sur le conseil de Me Francis Szpiner- alors très lié à Jacques
Chirac. Il était« carbonisé ». Quelques jours plus tôt, l'un de ses proches,
balancé par un mystérieux corbeau, avait été interpellé sur un parking au
moment où une chef d'entreprise lui remettait 46 500 francs en liquide. Après
sept ans de cavale, deux procès, une peine de prison ferme et dix-huit ans de
silence, l'énarque confesse aujourd'hui son parcours au pays des mallettes et
dresse le portrait brut de décoffrage d'une République dévoyée. Son récit,
qui court de la mort de Georges Pompidou au début des années 2000, constitue la
trame du sulfureux « French Corruption », que signent Fabrice Lhomme et Gérard
Davet, deux grands reporters chevronnés du « Monde ». Les auteurs avouent sans détour avoir pris des risques. « L'idéal journalistique
commanderait de disposer sur chaque point de preuves irréfutables. Mais, dans
ce monde-là où tout se règle à coups de valises pleines d'espèces, ce n'est souvent
qu'un vœu pieux. «Après avoir essayé de recouper les
accusations de Didier Schuller, ils ont jugé son témoignage crédible
et n'ont pas occulté les noms des plus hauts personnages de l'État qu'implique,
visiblement sans crainte, l'ancien militant du RPR. Fils de bonne famille, Didier Schuller a traversé les années l970 dans les
cabinets ministériels des gouvernements Chaban-Delmas, Messmer et Barre. Le
temps était déjà à la vénalité. « Pour déjeuner avec Edgar Faure, le
président de l'Assemblée nationale, il fallait débourser 30.000 francs »,
se souvient-il. À l'époque, il filait chercher des liasses à Matignon, où les
services du Premier ministre géraient la cagnotte des fonds secrets. Parfois
pour ses activités politiques, le plus souvent aussi pour le SAC, l'officine
qui épaulait les candidats gaullistes lors des élections. «Je me souviens
d'avoir un jour entendu Yves Guéna dire qu'il n'y avait pas besoin de tout cet
argent » « Commission pour Le Pen » Dans ces années-là,
aucune loi n'encadre le financement de la vie politique. Ceux qui n'ont pas
accès au coffre-fort de Matignon se débrouillent comme ils peuvent. Didier Schuller
assure avoir transporté 1 million de francs offerts par la famille Rothschild à
Olivier Stirn, alors ministre des DOM-TOM. Il dit aussi avoir été le témoin de
la remise de 100 000 francs à un jeune loup du centrisme promis à un brillant
avenir, François Bayrou. L'intéressé dément vigoureusement, mais Didier Schuller
se rappelle que, ce jour-là, il appelait les coupures « ses timbres-poste ». L'arrivée de
la gauche au pouvoir en 1981 vaut à l'énarque un aller direct au placard, à la
direction des affaires internationales du ministère de l'Équipement
Mais il revient rapidement aux premières loges, refaisant surface au Moyen-Orient,
où il sympathise avec Rafic Hariri, le futur chef du gouvernement libanais qui
alimentera des années plus tard son compte en Suisse. En 1983, lors d'un dîner
à l'ambassade de France à Beyrouth, après la signature d'un contrat d'armement,
Didier Schuller entend François de Grossouvre, l'homme des basses besognes de
François Mitterrand, lancer à la cantonade : « Ce n'est pas perdu pour tout
le monde. La commission, on va la filer à Le Pen» À partir de 1986, Didier Schuller devient un maillon essentiel du système chiraquien en prenant la direction de l'Office départemental HLM des Hauts-de-Seine. Petites ou grandes, les entreprises crachent toutes au bassinet dans l'espoir d'être retenues lors des appels d'offres de l'office, qui abrite un emploi fictif destiné à passer à la postérité : celui de l'assistante d'Alain Juppé, alors patron du RPR. Trois ans plus tôt, son grand ami Patrick Balkany a enlevé la mairie de Levallois-Perret aux communistes. Le duo constitue le pivot du clan du 92 -le numéro du département des Hauts-de-Seine - sur lequel veille Charles Pasqua et dont Nicolas Sarkozy n'est pas très loin. Nue sur un lit de billets Pour la première fois, l'ancien conseiller général dévoile ce qu'il a toujours
caché aux juges. L'intitulé de son compte suisse dont s'occupait le banquier
genevois Jacques Heyer. « Cent fois il s'est vanté devant moi de gérer aussi
celui de Sarko », précise Didier Schuller. La justice helvétique a eu des
soupçons, mais elle n'a jamais pu le prouver. Tout comme la justice française a échoué à identifier le compte que détenait,
selon Didier Schuller, Patrick Balkany au Liechtenstein, là où aurait été
routée une partie non négligeable des dessous de table. La boîte à souvenirs de l'ancien petit soldat du RPR fourmille de scènes incroyables, vécues le plus souvent en compagnie de Patrick Balkany. Celle où Jacques Chirac, sifflotant «La Marseillaise», empile de grosses coupures rapatriées des bords du lac Léman dans le coffre de son bureau à l'Hôtel de Ville de Paris, l'a marqué. Mais moins sans doute que ce moment magique où la belle inconnue aux blonds cheveux qui avait suivi le duo « faire le plein » à Genève a accepté, le soir venu, de se coucher nue sur un lit tapissé de billets dans la chambre d'un grand hôtel ! Ces politiques qui nient tout en bloc Tous les hommes politiques contactés par les auteurs de « French
Corruption » réfutent en bloc les accusations de Didier Schuller. Nicolas Sarkozy
le premier. Selon son avocat, Me Herzog, il n'a jamais « détenu un
compte sous quelque forme que ce soit à l'étranger, et ce, quelle que soit la période
considérée jusqu'à aujourd'hui ». Et il est « absurde » d'imaginer qu'il ait
pu conseiller à ce même Schuller « un gestionnaire en Suisse alors qu'il était
ministre du Budget ». Sollicité par
le biais d'un questionnaire, Jacques Chirac n'a pas davantage souhaité répondre
aux affirmations de Didier Schuller. « II n'entend pas jouer à cache-cache avec
des joueurs de bonneteau », explique son avocat, MeJean Veil, dans
un courrier. Patrick Balkany, qui, selon Didier Schuller, a remis des fonds
aussi bien à Chirac qu'à Sarkozy, refuse lui aussi de s'exprimer. Tout comme
Jean-Marie Le Pen. En revanche, Jack Lang est beaucoup plus loquace. L'ex-ministre
de la Culture qualifie d'allégations les propos de Didier Schuller selon lesquels Alfred
Sirven, alors n° 2 d'Elf, lui aurait donné à diverses reprises plusieurs centaines
de milliers de francs dans un appartement parisien. Mais il n'exclut pas que la compagnie pétrolière ait pu contribuer à sa
campagne électorale en 1993. « À l'époque, la loi autorisait le financement
des campagnes par des particuliers ou des entreprises. » De la même façon,
François Bayrou nie avoir jamais croisé Pierre Begaud, un éleveur de chevaux
chez qui il aurait récupéré du « carburant » dans les années 1979-1980, époque
où il était secrétaire national du Centre des démocrates sociaux. Schuller
affirme avoir assisté à cette remise de cash en présence de Philippe Houdard,
le trésorier du parti. Ce que contestent ce dernier mais aussi François Bayrou.
« Au CDS, je n'ai jamais entendu parler de lui. Je ne se suis donc jamais allé
chercher des espèces à son domicile. Je ne fonctionne pas comme cela, pas par éthique
d'ailleurs, mais par pur orgueil. C'est pour cela que je suis toujours vivant
! »
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