NON
à la fourrure !
François CAVANNA

Charlie Hebdo du mercredi 26 octobre
2005
On croyait avoir gagné la bataille. Plus modestement, une
bataille. Cette bataille-là. Celle de la fourrure. Ça remonte à loin. Des
années. Personne n’osait plus en porter. Oh, pas par amour des bêtes au poil
somptueux, même pas par pitié. Par trouille.
Il y avait eu l’époque des commandos. Qui traquaient la
salope en renard ou en vison. Les filles qui s’enfermaient dans l’ascenseur avec
la poufiasse fière de son chinchilla (j’écris « chinchilla », je ne sais même
pas si c’est une fourrure chère, enfin, mettons) et lui déversaient un
demi-litre d’encre de Chine, ou de Javel, ou carrément d’acide sur l’ondulante
toison, et puis s’esbignaient à l’étage, laissant hurler la rombière. Il y avait
eu les manifs, les boutiques de fourreurs saccagées. Il y avait eu nous, Charlie
Hebdo, Paule l’enragée en tête… Bref, la fourrure avait reculé. Disparu, pour
ainsi dire. On était bien contents.
Ça ne pouvait pas durer. Les générations de connes succèdent
aux générations de connes. Et tout est à recommencer. Les couturiers et tous
ceux qui peuvent se faire du fric autour du martyre des bêtes ont fait ce qu’il
fallait. La fourrure est tendance, la fourrure revient en force, c’est
l’invasion massive, irrésistible.
Ce ne sont plus seulement les toisons prestigieuses, les
traditionnels visons, les zibelines rarissimes, cadeaux de gros cons friqués à
petites connes ambitieuses, qui font le gros du trafic, mais, figurez-vous, les
peaux des chats et des chiens. Très mode, très très.
En zappant comme je zappe, je tombe l’autre jour –ne me
demandez pas quelle chaîne, j’ai coupé le jus avant la fin et je me suis sauvé-
sur l’horreur des horreurs. Un film pris en douce par un amateur, je suppose. Un
élevage de chats. Plutôt, un endroit où l’on entreposait des chats volés. Des
centaines. Ah, oui : en Chine. Des ouvriers chinois massacraient les chats.
Rationnellement. Les attrapaient par les pattes de derrière, les élevaient haut
en l’air et puis les abattaient, hargne donc, de toutes leurs forces sur une
espèce de billot. De vrais pros. Le chat hurlait, se débattait, la sale bête, il
fallait cogner encore, et encore, il n’en finissait pas de crever. D’ailleurs,
on ne le contrariait pas. Tu ne veux pas clamser ? M’en fous, pourvu que tu te
tiennes peinard. Et en effet, le chat, assommé mais vivant, gigotant vaguement,
était sur-le-champ ouvert du haut en bas par le spécialiste, un autre, pas le
même, débarrassé de sa peau en trois coups de couteau, la peau mise à sécher et
le chat jeté tout palpitant dans une espèce de poubelle à roulettes où miaulait
une masse sanguinolente et bien tassée de chats sans peau.
Finalement, ce n’était peut-être pas une prise de vues
clandestines. Car on nous montrait complaisamment toutes les étapes du
traitement des peaux jusqu’à leur finale expédition pour l’Europe. Le massacre
n’était qu’une des étapes de l’opération, présentée avec la même indifférence,
le même intérêt technique que les autres. Les Chinois ont beaucoup à apprendre
quant à la sensiblerie occidentale. Ce film, qui se veut peut-être de
propagande, leur fait du tort. Tant pis pour leurs gueules. Je voudrais qu’il
soit projeté dans tous les coins pourris où des bonnes femmes s’affublent de ces
peaux volées. Qu'elles touchent du doigt ce que c’est que la prestigieuse
industrie de la fourrure, ce qui se passe avant que le grand couturier la drape
sur les corps de ses déesses.
Oui, je me bourre le mou. Elles le savent, tout ça, ou s’en
doutent. Elles ne veulent pas le savoir. On leur racontera que ce que j’ai vu là
est exceptionnel, des bandits, des clandestins, qu’en vrai tout se passe en
douceur, le chat s'endort tranquille, on a fait ce qu’il faut, il est heureux de
donner sa peau pour que Paris soit toujours Paris… Et elles marcheront, elles
ont tellement envie… Toutes le copines ont de la fourrure de chat –on ne dira
pas ça comme ça, les gars du marketing auront trouvé un mot chic, un mot mode-
je ne vais pas être la seule à m’en passer ! J'aurais bonne mine tiens ! Ah,
oui : les chiens. Pareil. En Chine, toujours. Cinq ou six gros lascars en train
d’éclater les crânes sur des billots, sur le pavé, à tour de bras, cadences
infernales, doivent pas être payés gras. Qu’ils crèvent !
Attendez-vous donc à voir rappliquer, je ne sais trop sous
quelle forme, une marée d’accessoires vestimentaires à base de fourrure de chats
et de chiens dans l’hiver qui vient. Savez-vous quoi ? Ils les font passer pour
du synthétique! Ce qui tendrait à suggérer qu’en Chine la peau des chiens et
des chats, malgré les manipulations, revient beaucoup moins cher que le nylon ou
les acryliques !
Jusqu’ici, les massacreurs de chats, chez nous, étaient des
voyous ruraux qui fournissaient certaines officines fabriquant des
sous-vêtements en peau de matou pour tenir au chaud les rhumatismes des vieux
cons à rhumatismes. Activité d’ailleurs réprimée par la loi. Les Chinois, qui
sont un grand peuple travailleur et industrieux, ont élevé la chose aux
dimensions d’une entreprise nationale. Je retire de tout ça l’impression
débilitante que cet incessant combat contre la souffrance animale, que ces
efforts sans cesse et sans cesse recommencés en faveur du respect de la vie, de
toute vie, qui sont déjà si décevants quand on s’adresse à des peuples dits «
évolués », se heurtent, hors de ce cercle restreint, à un formidable mur
d'indifférence, pour ne pas dire de sadisme. L’Asie est terrifiante. Ne parlons
pas de l’Afrique…
Oui, bon. Il y a du boulot. Les filles, à vos bouteilles d’encre ! Les gars, refusez votre coït à toute merdeuse portant fourrure
!
F.C
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